lundi 23 mai 2011

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Gary Cooper As The Texan ( couverture SEP, 24 mai 1930)

Ce voyage en Californie, d'autres lui feront suite, lui inspire " Gary Cooper As The Texan". Sa signature prouve son bonheur d'être en Californie. Pour la première fois, Norman Rockwell modifie sa signature et ajoute Hollywood à la suite de son patronyme. Ce séjour, sans changer le style Rockwell, modifiera néanmoins son approche; Elle deviendra alors plus théatrale, plus axée sur le décor. Les lumières s'intensifieront, la réalité abordée se fera plus idéale.
Norman dans cette toile décide de nous dévoiler les coulisses. L'acteur, très connu qu'est Gary Cooper, a tout l'apanage du cow-boy: stetson, éperons, colt six coups, chaps... Il n'empêche que malgré tous ces signes de virilité, il se fait peindre les lévres, à l'instar de n'importe quelle starlette d' Hollywood! Face à lui, bourru, le cigare aux lèvres, son maquilleur semble absorbé par sa tache. Norman a choisi, non pas de nous offrir le fantasme cinématographique mais de nous montrer des travailleurs. Même si leur travail fait rêvé, c'est le monde des "artisans" qui est à l'honneur. Notre proximité est alors plus saillante. Au sortir, un simple échange entre deux travailleurs, rehaussé par la boutade du rouge à lèvres.
A noter, enfin, que la taille des éléments du costume, semble légèrement agrandie, pour encore plus de constraste. En 1936, Norman réïtèrera se "flirte" avec l'univers hollywoodien, avec "Hollywood Starlet", choisissant alors la vision coutumière d'une pose pour mieux mettre en évidence une superficialité certaine.



C'est dans un contexte apaisé, fraîchement marié, nouvellement père, habitant New Rochelle, que Norman entreprendra "Breakfast Table".

Breakfast Table or Behind the Paper
(Couverture SEP, 23 Août 1930)

C'est son premier mariage, qui, certainement, lui inspirera cette nouvelle toile. Fidèle à son caractère modéré, il ne se servira pas de celle-ci pour accabler Irène, son ex-femme mais au contraire, pour conjurer le sort et pour ne pas réïtérer ses propres fautes.
En lisant le titre « la table du petit-déjeuner » par Rockwell, nous pensons à un moment joyeux, ou des enfants turbulents joueraient autour d’une mère à demi réveillée. Mais en 1930, notre illustrateur semble se souvenir de sa condition maritale passée.
Un couple assis, de part et d’autre d’une petite table, prend son petit-déjeuner. Ce qui semble être une gravure est accrochée au titre du journal et signifie l’intérieur d’un foyer. Le couple petit déjeune mais
Ils sont séparés par l’imposant journal du mari. L’épouse tourne la tête de dépit, la tasse de thé à la main. Le mari, quant à lui, absorbé dans sa lecture ne prend même pas la peine, ni de déjeuner, ni simplement d’être courtois avec son vis-à-vis.
Dans un petit-déjeuner, nous aurions pu nous attendre à trouver les protagonistes en pyjama. Ils sont habillés. L’argenterie, la porcelaine ainsi que les meubles nous indiquent également le niveau de vie social et financier « élevé » de ce couple. Cette toile, qui paraît en 1930, au début de la Crise économique semble positiver en contrastant que ce couple aisé n’est pas heureux et par conséquent que « l’argent ne fait pas le bonheur ». Avis aux lecteurs subissant les affres de la Crise !
Aujourd’hui, Norman aurait pu refaire ce tableau, il lui aurait suffi de remplacer le journal par un téléphone mobil…

En 1932, nouvelle crise personnel pour Norman. Il ne semble pas se satisfaire de sa condition d'illustrateur, rêvant à une carriére plus "artistique". Contrairement à 1923, il emmena sa femme Mary, et son nouveau né Jarvis avec lui à Paris. Cette année là, il ne produira que quatre toiles pour le Post.

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Malgré cette “hauteur” de vue, malgré sa volonté d’idéalisation, Rockwell sent que son monde est en train de changer. Peu avant le mardi noir du 29, Rockwell entreprend “Les Cours de la Bourse”. Notre illustrateur se rapproche de la réalité.



Stock Exchange Quotations ( couverture SEP, 18 janvier 1930)

Le Krach boursier du jeudi 29 octobre 1929 fut un séisme d’une telle envergure que les Etats-Unis ne s’en relevèrent que “grâce” à la seconde guerre mondiale. Pour diverses raisons liées au commerce extérieur et intérieur que nous n’aborderons pas ici, le système bancaire américain s’effondra. Les concéquences furent terribles. Alors que les surplus alimentaires étaient jetés, beaucoup d’américains avaient faim. Certains perdirent leur maison, d’autre leur emploi. Les Etats-Unis sombrèrent dans une spirale infernale.
Les Cours de la Bourse est parue en janvier 1930. Conscient de l’attention que porte ses concitoyens aux problèmes économiques, Rockwell voulut représenter cette préoccupation.
Une affiche donnant les cours de la bourse est placardée. Un attroupement se forme devant. Les personnages sont donc de dos. A droite, une vieille femme porte un châle et un chapeau démodés. A son bras est suspendu un panier de provisions. Malgré son âge et ses courses, elle s’est arrêtée. A coté d’elle, et cela est moins surprenant, un homme d’une classe sociale “élevée” fixe les cours. Chapeau haute forme, gants en cuir, guêtres, semblent formés l’apanage du “boursicoteur”. Malgré les résultats affichés, sa position reste neutre, impassible. Tout à gauche, une femme ferme le cercle. Nous pouvons la qualifier de jeune et de riche car en plus de son col en fourrure, elle porte un chapeau à la mode ainsi qu’un petit sac à main. Même si nous ne pouvons voir leurs visages la préoccupation est palpable.
Le plus étonnant est que dans ce groupe ayant des intérêts à la bourse, s’est immiscé un garçon d’épicerie. Pull grosses mailles, tablier de travail, la casquette visée sur la tête, il se penche avec attention. Par l’adjonction de ce personnage, Rockwell a voulu, semble-t-il, dire que l’ensemble de la population se préoccupe de cette situation. Par extension, mais sans vouloir le créditer d’une trop grande anticipation, l’illustrateur apensé que cette Crise, toucherait tout le monde, du plus riche au plus pauvre, du plus jeune au plus vieux. Pour prendre du recul et amenuiser les concéquences, Norman ajoute une touche amusante, le chien. En effet, l’attention du chien est surréaliste, risible.

Même si on n’ignore quand Rockwell a débuté sa toile, je pencherais pour ma part qu’il ne l’a débuté qu’après le Krach, même si différents chercheurs affirment le contraire. Premièrement les signes avant-coureurs de la brusque dégringolade furent imperceptibles, sinon imprévisibles et je doute que Rockwell portât une attention si particulière et avisée aux marchés. Deuxièmement, regardez le garçon d’épicerie... Il a trois jambes! Norman Rockwell si appliqué, si fin, n’aurait pas fait une erreur si grande s’il n’avait été pressé, très pressé! Voilà au moins une preuve que Norman en plus d’être peintre de talent, est aussi un illustrateur qui doit répondre et coller à l’actualité.

Sans conjecturer sur les propos et les idés de notre illustrateur, il nous faut néanmoins replacer Stock Exchange Cotations dans son contexte. En effet, Rockwell tout auréolé de sa notoriété, peut-il se moquer ouvertement de la situation dramatique qu'à ouvert le krach de Wall street? Il semblerait que les américains , eux-même, n'ont pas pris conscience de toute la gravité de cette crise. Ainsi le premier d'entre eux, le président Herbert Hoover, fraîchement élu, ne déclare-t-il pas en mars 1930 : "Je n'ai aucune crainte sur l'avenir de notre pays. Il resplendit d'espoir." Deux mois plus tard, il dira :" Nous avons franchi maintenant le plus grave et nous allons rapidement nous en sortir." Il se trompait lourdement.

Malgré cette crise, les conditions de vie de notre peintre s’améliorent. Il fait parti avec sa femme Irène, des meilleurs cercles de New Rochelle. Les dîners, les sorties en mer succèdent aux rénions du Country Club. Rockwell dira de cette période qu'elle fut exaltante, mais il déchanta sous les coups répéter de la superficialité, des adultères et des étalages narcissiques. Sa condition maritale et psychologique se dégrade. Il se sépare d'Irène. Norman s'installe dans un immeuble baptisé "Hotel des Artistes", à l'ouest de Central Park, mais ce changement le plonge dans une nouvelle dépression nerveuse.

Le couple divorce en 1930. Pour changer d'air, Rockwell fait un séjour sous le soleil de la Californie. Il y fréquentera le monde du cinéma. Lors de ce séjour, il rencontre Mary Barstow, une idylle fulgurante nait. Norman l'épousera cette même année. Le couple s'installe à New Rochelle, quartier de New York, dans une belle demeure de style XVIII ème. Son nouvel atelier fera même l'objet d'une parution dans le magasine "Good Housekeeping".

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En 1928, alors qu’aucun indice n’indique la crise financière qui va s’abattre sur le monde, Rockwell s’amuse reprend la figure du vagabond. Il n'envisage pas que cette toile prendra dans les années futures, une autre connotation.

Hobo Stealing Pie (couverture SEP, 18 Août 1928)

Un vagabond, en 1928 nous n’utilisons pas encore le terme déshumanisant de SDF ( sans domicile fixe), vient de voler une tarte. Il essaie d’échapper au chien de la maison. Il est en pleine course, le chien aggripé à son pantalon.
Norman Rockwell, même si il utilise la figure d’un vagabond, ne s’attache pas à une satire sociale. Ce n’est qu’une situation anecdotique. Il aurait pu utiliser l’image d’un gamin chapardeur, mais la douleur des crocs du chien ont du le conduire à l’image d’un adulte.
L’homme a tous les attributs d’un pauvre, chaussures usées, vêtements élimés. Il n’en conserve pas moins une certaine dignité. Il est chapeauté, porte un plastron et une veste, signes d’une vie passée décente. Ici seule l’anecdote compte, Rockwell n’indique en rien les raisons de cette déchéance, pas le moindre indice de ce qu’il lui est arrivé.
Rockwell caricature. Il rougit le visage et le nez de son personnage. Il accentue et grossit la façon de courir de ce malheureux. Il grime son personnage pour nous offrir une farce clownesque.
Cette couverture du Post est importante car elle concentre les volontés de notre illustrateur. Rockwell poétise la vie. Le vagabond se transforme sous son pinceau en clown, le vol devient une farce. Même les crocs du chien, qui pourtant, ne semblent pas tendre, prètent à sourire. Pour Norman peu importe les causes, peu importe les conséquences, seul l’instantané anecdotique prévaut.

Même si l'illustrateur Rockwell est devenu une célébrité, Norman, insatisfait de n'être qu'un "illustrateur", souffre d'une crise d'inspiration. Il s'embarque pour la France. La direction du Post, lui demande expressément d'abandonner ses recherches de modernité dans la peinture. Il continuera néanmoins son périple en Afrique du nord et en Amérique du sud.

Revenu aux Etats-Unis, Norman replonge dans son quotidien d'illustrateur et de citoyen. Et c'est un excès de vitesse, dans l'état de New York, à Amenia exactement, que la réalité lui inspirera Welcom to Elmville. Il peut nous paraître étonnant en 1929 que déjà existent les contrôles routiers. En réalité les USA, depuis leur entrée dans la Première guerre mondiale, ont, sous l'influence d'un certain Frederick W Taylor, mis au point des méthodes qui décomposent la fabrication et modernisent la gestion des entreprises. L'ère industrielle est lancée. Notament "grâce" aux usines Ford, la production automobile dépasse les 4,5 millions de véhicules. Un américain sur six est motorisé. Par comparaison, 1 français sur 44, 1 allemand sur 196, seulement, le sont à cette époque.

Welcom to Elmville (couverture SEP, 20 avril 1929)

Norman se fit arrêter en flagrant délit d'excès de vitesse à l'instant même où il entra dans la petite ville d' Amenia prés de la frontière entre l'état de New York et le Connecticut. Il immortalisa cette anecdote, changeant toute fois le nom de la ville. C'est son ami, Dave Campion, qui lui servit de modèle. Dave lui avait déjà servi de modèle dans le passé, notament en 1920, pour le Popular Science Monthly, où il campait un bricoleur perplexe. Sa collaboration dura jusqu'au déménagement des Rockwell pour Arlington en 1939. Ce monsieur Campion était un être simple, vendeur de journeaux. Imaginez son sourire béat et sa fierté quand il vendait les numéros du Post où il figurait en couverture!
Derrière le panneu d'accueil du village d'Elmville, un shérif, un sifflet entre les lèvres, sa montre à gousset dans une main, tient un bâton dans l'autre. A demi-accroupi, caché, il mesure la vitesse des automobiles. Malgré son statut de force de l'ordre, son pantalon et ses chaussures sont troués. Une matraque à la main nous indique que les contrevenants ne sont pas aussi respectueux de l'ordre et de son représentant qu'aujourd'hui. Le traitement est vif, les touches larges. Comme à son habitude stylistique, seuls quelques détails sont précisés : la montre, le sifflet et le visage.
Toujours est-il que cela suffit pour caractériser cette saynète légère et mettre en évidence qu'il y a mieux pour accueillir un visiteur, qu'une contravention...

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Hobo And Friend (couverture SEP, 18 octobre 1924)

Un simple bougre, clochard avec son baluchon à proximité, les chaussures sans lacet, en train de se faire cuire deux saucisses. Voilà la première image de James K. Van Brunt. Une fois n'est pas coutume, parlons d'un des modèles favori de notre illsutrateur. La notoriété établie, Norman, dès 1923, voit frapper à la porte de son atelier, un petit monsieur. S'il n'avait pas fait attention, il n'aurait vu que des yeux “pochés”, un grand nez tortueux qui se maintenait tant bien que mal au dessus de la plus gigantesque moustache qui lui ait été donné de voir. “James K. Van burnt, monsieur, cinq pieds deux pouces de haut, comme Napoléon Bonaparte”, voilà comment il se présenta. Après s'être vanté d'avoir participé aux batailles de Fredericksburg et d'Antietam, avoir combattu les indiens Sitting Bull et Crazy Horse, ce petit monsieur poursuivit :” Ma moustache mesure huit pouces d'un bout à l'autre”. James détaillait ses mensurations, espérant se faire embaucher. Norman se moquait bien de sesproportions, il avait trouvé une “gueule”, un faciès.
Il l'embaucha et réalisa cette première toile. En 1925, James apparu de nouveau dans le SEP du 31 janvier dans la toile Crossword Puzzle sous la forme d'un lecteur.Et c'est encore sous la forme d'un lecteur un peu fou qu'il le peignit pour la une du 14 Août 1926. Mais une des consécrations de sa vie est le fait d'avoir posé pour la première couverture en quadrichromie du SEP du 6 février 1926, Sign Painter. Il eut l'insigne honneur en plus d'être sous les traits d'un peintre. Vous avez du mal à le reconnaitre? Normal, il a rasé sa moustache... Pleignez vous plutôt aux lecteurs assidus du SEP. A force de le voir en couverture, ils se sont plaint. Ni une, ni deux, le grand George Lorimer ne voulut plus de lui. Mais Norman eut l'idée de lui raser sa moustache si reconnaisable. James, au bout de quinze jours et dix dollars, une fortune, accepta. Et c'est ainsi, que son visage buriné et son corps fin incarnèrent le peintre “en lettres”. La moustache réapparue néanmoins dans Dreams Of Long Ago en 1927 et dans Guilding The Eagle de 1928. Son visage était tellement expressif que Rockwell le fit poser sous les traits d'une, enfin trois femmes, trois comères dans The Gossip du 12 janvier 1929. La moustache est bien sûr de nouveau absente. Fallut-il à notre illustrateur qu'il mit encore la main à la poche? Nous ne le savons pas. Mais une chose est sûr, c'est que Norman avoua s'être régaler de le voir poser en robe d'époque!


Le 20 et 21 mai 1927, Charles Lindbergh futle premier homme à relier New York à Paris dans son désormais célèbre avion : le Spirit Of Saint Louis. Cette dangereuse traversée de l’Atlantique lui vaudra le titre de “pionnier de l’aviation”. Norman, grand patriote et très attaché à “sa mère Patrie” y voya l’occassion de célébrer l’esprit de conquète cher aux américains.

Aviation Pionner – Portrait of Charles Lindbergh
(SEP, 23 Juillet 1927)

Cette couverture a un style différent des autres couvertures habituelles de Rockwell. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une scène complète mais d’un portrait entouré de pictogrames. En second lieu, elle n’est pas narrative mais un véritable hymne à l’esprit américain.
Rockwell, avec raffinement, portraiture un héros: Charles Lindbergh. Sur un fond bleu azur pour rappeler le bleu du ciel, son visage est de face. Il est légèrement en contre-plongée, ce qui lui donne une stature. Il porte l’attribut indispensable, son casque d’aviateur. Le regard au loin semble prolongé son exploit. Ses traits sont masculins. Ils sont adoucis par une lumière venant du haut. Rockwell a cependant pris soin d’affaiblir l’ombre sous son menton pour éviter la rigueur, voir le double menton. Le cou se “termine” en non-finito”, et la tête semble flottée comme sont avion. Néanmoins, alors que le visage sans le socle du corps aurait pu “vacillé”, Norman l’inscrit dans un cercle ouvragé et doré, ce qui le stabilise. Son graphisme s’apparente à l’art décoratif. L’illustrateur y appose le pictogramme du Spirit Of Saint Louis. Ce cercle peut faire penser à un nimbe orthodoxe, ou à une auréole catholique. Ce qui rehausse la “sanctification” de ce pionnier.
Deux pictogrammes représentant une caravelle, peut-être la Santa Maria de Christophe Colomb, et un chariot de cow boys, inscrivent l’exploit de ce jeune aviateur dans les pas des pionniers qui traversèrent l’Atlantique pour s’installer aux USA et qui conquérir l’Ouest américain.
Le bas de la toile est simplement recouverte du mot “pioneer”, dans une typographie aérée et épurée. La sangle du casque d’aviateur fait la liaison entre les trois parties.

Rockwell magnifie Lindbergh en juillet 1927, sans se douter que ce dernier affirmera des “sympathies” pour un ordre brutal et autoritaire quelques années plus tard. En 1935, Lindbergh, en mission en Allemagne, sera chargé de faire un rapport sur la Luftwaffe. Il en reviendra ébloui et décoré de l’ordre de l’Aigle Germanique, remis par Göring lui-même. Isolationnisme, sympathisant à l’Allemagne nazie, il changera néanmoins d’avis après l’attaque sur Pearl Harbor en décembre 1941. Il mènera alors plus d’une cinquantaine de mission dans le Pacifique.

Petite note féministe: je voudrais ici citer Amélia Earhart, surnommée Miss Lindby en référence à son illustre compatriote. En 1928, soit un an après Linbergh, cette jeune femme pilote fut la première à réussir la traversée de l'Atlantique. Bien que le “machisme” l'ait empêché en 1928 de piloter, elle renouvela l'exploit en 1932 mais cette fois-ci aux commandes. Elle devint donc la première et la seule pilote à réussir la traversée de l'Atlantique deux fois en solitaire. Elle disparut, le 2 juillet 1937 , au cours de la dernière étape de son tour du monde (passant par l'Equateur),au large de l'archipel Kiribati aux commandes de son bimoteur Lockheed Electra.

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En mai de cette même année, 1921, Rockwell se servit pour la première fois d’un appareil photographique. Depuis le temps qu’il dessinait, il faisait toujours posé les modèles, humains où canins, pour ses illustrations. Seulement, représenter la commande du mensuel American Magazine, un gamin en train de bailler n’était pas chose aisée. Aussi s'aida-t-il pour la première fois de la photographie.

The Sleppy Scholar (American magazine, mai 1921)

Les succès de Rockwell au Saturday Evening Post lui valurent des commandes d’autres journaux. La commande pour American Magazine semblait simple : la réalisation d’un écolier en train de bailler. Connaitre le corps humain et le mettre en mouvement en peinture est assez simple. Il ne s’agit que de “mécanique”. Bien sûr, ill faut apprendre cette mécanique... Mais rendre dans les détails un baillement est une gageure. Pour le modèle, aussi, il n'est pas aisé de rester la bouche ouverte le temps de la pose. Aussi Norman s’aida de la photographie pour la première fois.
L’ensemble semble néanmoins figé, un peu raide. Peut-être, est-ce de savoir qu’il employa cette aide... Mais objectivement, le rendu réaliste de la pose n’a pas la liberté, la vivacité de ses précédentes toiles.



The violin virtuoso (couverture du SEP, 28 avril 1923)

Un jeune homme debout joue du violon. Le pupitre ne lui sert à rien. Tout d'abord parce qu'il est derrière lui mais aussi parce que c'est un virtuose. Il est en queue de pie, la poitrine barrée d'une écharpe rouge, la mèche rebelle typique des génies. Son front est barré de rides dûs à la concentration ultime et à l'implication personnel dans sa musique. A ses cotés, assis dans la pénombre, les musiciens accompagnateurs ont un âge certain. Le plus proche, le mouchoir dans le col, pour ne pas avoir les marques de son instrumentgravés dans le cou, le regarde stoïquement. Sa moue plissée nous indique son respect, cependant teinté de tristesse. Malgré son âge, il se rend compte de la distance musicale qui le sépare de ce jeune prodige. Il est résigné. Son compère, la tête baissée, écoute et profite de l'instant.
Le jeune musicien est dans la lumière d'un projecteur. Notez à quel point le dégradé de son costume est délicat. Les ombres sont franches et parviennent à rendre cette lumière intense et électrique. Car ne l'oublions pas, le projecteur, comme le pupitre derrière le vistuose, sont alimentés électriquement. En effet, la fée électricité est déjà fréquente en Amérique, même dans les campagnes, contrairement par exemple à la France où il nous faudra attendre encore quelques années!
A noter, enfin, la prouesse de raccourci des mains du prodige, surtout sa main droite.
Un raccourci est terme désignant un effet visuel qui tend à exagérer la perspective et à rendre l'illussion que la main est penchée, les doigts relevés. Rockwell a-t-il étudié les positions de mains de violonnistes? Toujours est-il que la main indique la tension, les doigts agiles admirablement rendus. Nous pourrions presque entendre les vibrations des cordes...

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Red Cross Volunteer (couverture SEP, 21 septembre 1918)


Quelques mois avant l'armistice du 11 Novembre 1918, le SEP publia cette couverture représentant une petite fille, de la croix rouge, demandant une aide financière à un vieux monsieur. Même si les Etats-Unis ne sont entrés en guerre qu'en avril 1917, le peuple américain connait les souffrances en Europe. Les souffrances de la guerre, bien sùr, mais aussi les ravages qu'ont occassioné la révolution bolchévique ainsi que la grippe espagnole. Pour ne parler que de la guerre, elle fera plus de neuf millions de morts, plus de vingt millions de blessés. Pour Norman, engagé, mais à l'abris, c'était un devoir.
La jeune fille, même si son teint est semblable à une poupée de cire, son minoi avec ses joues roses, la tresse de côté semble apitoyer le vieux monsieur. Bien habillé, et certainement riche, il met la main à la poche. La raideur globale de cette toile est atténué par la douceur du petit chien bandé, propre à émouvoir n'importe qui.
Cette toile est une contribution à l'effort de guerre. Elle est la première du grande et magistrale série.
Pourquoi les premières couvertures de Norman Rockwell ont cette teinte un peu viellotte?
Tout simplement parce que la quadrichromie n'existait pas! Norman devait obéir aux lois de la presse. Seuls apparaissaient le noir et le rouge, ainsi que leurs dégradés respectifs. Il faudrait attendre 1926 pour que le SEP utilise la quadrichromie. C'est à Norman que reviendra cette distinction. Pour l'occassion il peindra Colonial Sign Painter disposant sur la palette de celui-ci le rouge, mais aussi , et pour la première fois, du vert et du bleu. Une révolution...





No Swimming (couverture SEP, 4 juin 1921)

No Swimming que nous pourrions traduire par “baignade interdite” parait le 4 juin 1921. Il s’agit à nouveau d’une scène ou les protagonistes sont des enfants. L’innocence juvénile se critalise en face d’une situation particulière. Ici le panneau d’interdiction caractérise la situation environnementale, les jeunes à demi-nus, les habits à la main, s’enfuient. Ils n’avaient pas le droit d’aller nager, ont essayé et se sont fait surprendre. La fuite est leur seul recours.
Deux choses sont à noter ici. Tout d’abord, l’effet de “hors cadre”. Le hors cadre est un artifice stylistique de contraste. En figeant la vision, tout en faisant “débordé” le sujet, les artistes visuels nous offrent une contradiction. Malgré l’instantanéité, certains détails sortent du champ de vision. La concéquence est claire : nous pensons mouvement sans le voir. L’enfant de gauche, “malgré tout”, semble continuer sa course. Son visage est hors cadre. De la même manière, le jeune de droite à la jambe droite “coupée” et semble, quant à lui, entrer dans le champ de vision du peintre.
La deuxième caractéristique est la différence de morphologie des garçons. Pour inclure une touche d’humour, Norman représente à droite, à la traine, un enfant “potelé”. Même si nous ne voyons pas son corps, sa tête, ses bonnes joues le définissent. Pour accentuer sa “peine”, le peintre l’a fait de profil, la bouche fermée, concentré. Il lui faut certainement plus de concentration que ses camarades sveltes et légers. Rockwell en dessinant ce contraste, a du penser à sa propre enfance et à ses difficultés d’être différent sauf que lui était une grande asperge longiligne et peu musclé.
Remarquez aussi le “pansement” à l’orteil du garçon central. Cette caractéristique apparait dans bon nombre de toiles de notre peintre. Quel est sa signification? Est-ce un détail autobiographique? Pour ma part, je pencherais pour un détail crédibilisant. Bien que les pieds nus soient un signe d’innocence, de naturel, il est bien évident que les pieds nus sont fragiles.

Autre détail dynamique, c'est la présence de Lambert, le chien voir l'ami de Norman. Dans a première décénie d'illustrateur, Rockwell l'intégra 26 fois sur 91 couvertures. Lambert apparut avec sa queue, sans sa queue, en épagneul, ou en Airdale Terrier, selon la couverture, tout au long des années qui suivirent la première guerre mondiale !

Un jour George Lorimer, demanda à Rockwell :

- Pourquoi mettez vous toujours le même corniaud dans vos couvertures ? 

- Parce, que c’est un bon chien, que c’est un bon modèle  et aussi parce qu’il est très obéissant.
- Bon dit Lorimer, j’ai sur moi la photo de mon chien. Mettez-le sur une de vos couvertures. 
Le chien du rédacteur, un spitz, apparut plus tard en couverture.

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Malgré une carrière lancée et un avenir qui s’annonçait sous les meilleurs auspices de l’illustration, Norman s’engagea pour combattre pendant la Grande Guerre. Il fut incorporé dans la marine. Affecté à la base de Charleston en Caroline du Sud, il n’alla jamais au Front. Son occupation principale fut alors de “croquer” les soldats et leurs officiers. On lui permit même de poursuivre ses illustrations pour le Post.

Pardon Me (couverture SEP, 26 janvier 1918)

“Désolé” parait en 1918. La Grande Guerre ayant fait des ravages en Europe, Rockwell choisit une une scène légère et amusante. Une couple de jeunes danseurs s’est arrêté de danser. La jeune fille tient son pied, le jeune homme gêné lui a écrasé en dansant. Il est confu, les mains en signe d’excuse, les pieds en dedans dans une position mal assurée. Pour rendre amusante cette saynète, Rockwell a ajouté un autre couple, en retrrait, tout sourire, moqueur. La position de leurs pieds, les talons relevés, indique qu’ils sont en train de danser. Malgré leurs chapeaux ridicules, nous pouvons sentir la tension entre les danseurs du premier plan.
Fidèle à ses premières couvertures, Norman a dépouillé son dessin, ne prenant même pas la peine de signifier la piste de danse ou encore la salle certainement décorée pour l’occassion. Malgré ce dépouillement, Rockwell, dans ce qu’il a peint, nous propose tous les détails vestimentaires: Cols ronds et raides, robes soyeuses, noeuds en satin. Il va même juqu’à rendre le renforcement des collants de la danseuse au second plan.
Ici, cependant, c’est le traitement plastique qui nous interresse. Le traitement plastique est la manière de peindre. Les couleurs sont soit : mélangées avec soin, avec des transitions très douces, on appelle ça la manière “léchée”. C’est le traitement qu’a affectionné Rockwell. Il permet de rendre compte, le plus réalistement, d’une scène, flirtant avec le rendu photographique. Ici, pas du tout. Par manque de temps, d’envie ou par choix? Prenez les mains. De larges touches de couleur chair, quelques bruns supportent les traits épais de blanc. Pourtant l'effet est saisissant. Je ne peux m’empêcher de vous indiquer également l’épaule de la jeune estropiée. Malgré cette manière enlevée, nous pouvons déceler la chair en dessous des manches. Les blancs tranlucides laissent percés la peau, les blancs opaques renforcant la lumière.

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Gramps At The Plate (couverture SEP, 5 Août 1916)
“Grand-père à la base” est la troisième illustration publiée de Norman. Devant convenir au plus grand nombre, il était illustrateur, ne l’oublions pas, Rockwell décide de représenter un duo conventionnel et familial. Un grand-père et son petit-fils.
Sport par excellence aux USA, le base-ball rapproche les générations et a l'avantage plastique de présenter les adversaires de face. Ce la permet à notre illustrateur de représenter les expressions des deux protagonistes. Cependant ici, l'adversité réelle et sportive est accentuée par le conflit générationnel.
Le jeune garçon est en tenue de sport. Le sourire aux lèvres, il a délaissé son masque de protection, sûr de sa supériorité. Un genoux à terre, ce qui n'est pas tres conventionnel, mais qui permet à l'illustrateur de le déporter sur la gauche, le distinguant de son adversaire. Cette position ainsi que le code qu'il indique à son coéquipier par sa main, souligne son assurance maline. La casquette retournée, le garçon est heureux de cette situation.
Le grand-père, occupé à lire son journal, s'est pris au jeu, au défi. Il a fait tomber la veste et remisé son journal sous une brique. Cela servira de base. Il ne porte pas les habits adéquats, mais peu importe. Les railleries enfantines ont eu raison de so flegme. En bras de chemise, il a conservé son gilet dont l'arrière est satiné. Le monocle (nous pouvons voir son cordon) ainsi que sa montre à gousset sont dans sa poche. Son pantalon de flanelle tombe sur ses guêtres, il n'a pas l'air de se préparer à la course, pourtant qui devrait suivre son coup de batte. Seul compte le frappé de la balle, c'est sur cela qu'il veut vaincre. Le visage concentré, ses mains maintiennent fermement l'instrument de sa victoire.
Tout en représentant une image familiale, Norman met en évidence une rivalité entre générations. L'enfance avec ses défis mêlés d'inexpérience se mesurent à l'age mûr dont l'expérience palit au déficit physique. C'est du dèjà vu, du déjà vécu.
Autre petit détail. Dans les États-Unis de cette époque, tous les gamins n'avaient pas les moyens d'avoir une vraie batte, souvent un rude gourdin sufisait. Nous pourrions étendre cette note à la tenue complète de notre gamin. Norman est le fruit de sa condition. Il peint ce qu'il connait et cette vision cadre certainement avec les acheteurs et abonnés du SEP ( Saturday Evening Post).
L'édition de cette couverturenécessita plusieurs “retouhes”. En effet, Monsieur Dower, le directeur artistique du SEP, affirma, dans la première épreuve de Gamp at The Plate que le papy semblait mauvais et ressemblait à un clochard. La seconde version où le grand-père venait d'adopter sa tenue du dimanche ne fut pas accepter pour autant. Mr Dower trouvait cette fois-ci le grand-père “trop vieux”. Nouvelle rectification. Il falut à Norman trois autres modifications pour voir son tableau accepté. Monsieur Lorimer voulait tester la patience de notre jeune illustrateur... heureusement qu'il n'est pas allé trop loin, Rockwell était à deux doigts de démissioner!

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Les débuts d'un travail

La pochette à dessins sous le bras, le jeune Norman poussa les portes du Saturday Evening Post. Ce journal qui revendiquait sa création en 1728 par Benjamin Franklin, mais qui avait plus certainement vu le jour en 1821, soit trente ans après la mort de ce père fondateur des USA, était un hebdomadaire composé à l'origine de quatre pages. Mais en 1916 à l'entrée de notre débutant, George Horace Lorimer, rédacteur en chef, en avait fait un magazine de tout premier ordre qui publiait illustrations, éditoriaux d'actualité, poésie, théatre et récits. Les plus grands noms se bousculaient : d'Agatha Christie à William Faulkner, en passant par Edgard Allan Poe, Sinclair Lewis et Jack London. Mais en 1969, à la suite d'un article qui insinuait un truquage de match de football, le journal condamné à versé plus de trois millions de dollars de dommages et intérêts, dû fermer. Ce n'est qu'en 1970, à la suite d'un rachat, que le Post, se métamorphosa en trimestriel. Mais reprenons...
Malgré son inexpérience, George Lorimer, inspiré par ce qu'il avait sous les yeux, lui offrit une collaboration pour trois couvertures. Norman était aux anges, sans se douter que la collaboration effective avec ce journal devait durer jusqu'en 1963, 315 couvertures plus tard!

Salutations (couverture SEP, 20 mai 1916)
La première couverture date du 20 mai 1916 et s’intitule “Salutations”. Comme toutes les premières oeuvres, elle est autobiographique. Un jeune garçon bien habillé, au col amidonné, chapeau melon, gants et cravate est salué par deux jeunes qui, eux, débraillés et en tenue de sport, vont joués au base-ball. C’est un peu Norman dont le physique peu athlétique ne lui permit pas de s’épanouir avec ses camarades dans le sport. Rockwell transpose sa frustration passée en anecdote humoristique mais grincante. Il oppose les responsabilités à l’innocence, le devoir à la liberté. Il est interressant de noter que l’illustrateur en dessinant trois fois le même modèle annule l’opposition de classe sociale, que nous aurions pu imaginer d’après les habits. C’est une unique condition qu’il nous révèle, celle de la jeunesse et de ces railleries.
Techniquement, et même si c’est la première couverture d’un jeune illustrateur, le style Norman Rockwell est là. Les détails marginaux sont effacés pour mieux se focaliser sur les détails essentiels. La scène se lit en un coup d'oeil. Les détails du lacet entre la veste et le chapeau, où encore le biberon dans la poche n’étant là que pour instruire et crédibiliser la scène.

Introduction



Norman Rockwell, pour moi, s'est tout d'abord, deux mots qui finissent une phrase, un couplet d'Eddy Mitchell. Les afficionados de ce chanteur sauront que je parle de la chanson "un portrait de Norman Rockwell", pour moi, c'était une chanson inconnue, entendue au hasard d'un zapping radio. Aidé de mon addiction et de ce merveilleux instrument qu'est internet, les images affluérent, les dates et les circonstances de sa création aussi. Anticipant les sept décénies cruciales que sont le début du XX ème siècle aux États-Unis, je ne tombe que sur des portraits de clowns, de gosses. Peu de toiles "historiques" en face de gamins par dizaine. Ça n'atteignait pas les hauteurs historiques envisagées. Cependant, je continuais de tourner les pages d'un livre reproduisant les couvertures de Norman Rockwell. Je glissais d'histoires en anecdotes. Je passais de la représentation des "pilgrims" à l'univers de Tom Sawyer. Je m'attendais "Aux Raisins de la Colère" en peinture, j'étais accueilli par le dessus d'une boite de gâteaux secs à grand-mère.
Je ne percevais pas les vicissitudes de la société américaine, tout simplement parce que cet artiste n'en révélait pas ses contours mais son Essence. Ce qui interressait cet artiste n'était pas la société, mais les individus qui la composent. Alors que je cherchais les “strars”, je ne trouvais que des inconnus. Ce peintre racontait leurs humeurs: leurs joies, leurs peines, leurs pleurs. Il racontait l'Humain.Pour ce faire Rockwell réduisait l'environnement particulier pour permettre de toucher à l'universel. Il nous laissait, cependant, assez d'éléments pour lire et comprendre ses histoires, nos histoires. C'st alors que je découvris le bonheur de sa narration.

Qui est monsieur Rockwell?
Norman Percevel Rockwell est né à New York en 1894. Sa grand-mère paternelle était issue d'une famille aisée et son mari, son grand-père parternel, travaillait dans l'industrie minière. Leur fils, ne nous ait connu qu'au travers des souvenirs du jeune Norman. Celui-ci écoutait avec avidité les récits extraordinaires tirés de Charles Dickens, lus à haute voix à la chaleur d'une cheminée. Quant à sa mère, elle était d'origine anglaise et était la fille d'un peintre, sans grand talent qui avait émigré après la guerre de Seccession. Ayant souffert de la condition misérable que lui offrit son père, elle se ratacha principalement à ses origines anglaises, prisées en Amérique au début du XX ème siècle. D'où, certainement, le second prénom ampoulé de Percevel.
Longiligne, presque malingre, Norman avait un physique peu avenant et fragile. Il portait des lunettes et faisait pâle figure devant son seul frère, pourtant plus jeune que lui. "A dix où onze ans, quand j'ai pris conscience de mon identité et de ma position dans le monde, je n'avais pas une très haute opinion de moi-même". Absent des stades de foot où de base-ball, le jeune Rockwell, s'engouffra dans l'activité pour laquelle il était le plus doué: le dessin.
En tant qu'homme et en tant qu'historien, j'ai toujours pensé que les origines familiales, les caractéristiques physiques (prises dans le sens de l'acclimatation, ici difficile, à la société), jouent un rôle. Elles peuvent forger les héros, soutenir les politiques. Dans le cas du jeune Rockwell, c'est une évidence. Son physique ne lui permit pas, selon lui, de participer, il regarda donc. Déployant son énergie dans le dessin, il commentera la société dans laquelle il n'est pas.
L'époque à laquelle il naît, trente ans après la guerre de Seccession fait de lui un WASP, un white anglo saxon protestant. Même si les États-Unis se sont formés grâce à l'immigration, le cloisonnement, la ségrégation sont établis. Il est le rejeton d'une "american way of life", il est le fils d'un rêve de pionniers épris de Liberté. Mais Norman, d'origine anglaise est tombé du "bon" côté. Il vivra dans un monde où les gens "de couleur" comme on disait, sont exclus. Ce sera là un des points centraux de son oeuvre et de sa vie. Grâce à son métier de chroniqueur, il essaiera de sortir de sa vue partiale d'américain moyen, protestant et blanc.
Certainement sous l'influence de sa mère, et de sa peur que le jeune Norman ne reproduise les aléas miteux de son propre peintre de père, Norman ira chercher un "vrai" travail.